Le Témoin – Des centaines de milliers de fidèles musulmans convergent depuis quelques jours
vers les villes saintes de Tivaouane, Ndiassane, Thiénaba, Keur Mame El Hadj Ndiéguene, entre autres foyers religieux, pour participer au Maouloud célébrant l’anniversaire de la naissance du Prophète Mouhammad (Psl). Déjà, comme lors des éditions précédentes, prières et louanges dédiées au Sceau des Prophètes (PSL) rythment la vie dans ces sanctuaires de l’islam qui commencent à connaître de fortes affluences de fidèles venus des quatre coins du pays, de la sous-région et d’ailleurs pour la célébration du Gamou prévu ce samedi 9 novembre.
De Tivaouane à Thiénaba, foyer religieux fondé par le Cheikh Amary Ndack Seck, en passant par le village de Ndiassane, capitale spirituelle de la Qadiriyya, en passant par Keur Mame Al-hadji, la célébration de l’anniversaire la naissance du Prophète Seydina Mohammad (Psl), se prépare intensément.
Et fidèles à une tradition bien établie, ces foyers religieux anticipent déjà avec les séances de «Wazifa», ou lecture du Saint Coran, des causeries religieuses axées sur la vie et l’œuvre du Prophète Mohammad (Psl), des soirées de «Burd» à l’occasion desquelles des prières sont formulées pour la paix, la stabilité au Sénégal, aussi pour la santé des guides religieux du pays. Toutes ces cités religieuses se trouvant dans la région de Thiès, cette «capitale confrérique»offre au monde un exemple de stabilité et de coexistence communautaire pacifique.
Notamment parmi les musulmans qui, sans appartenir aux mêmes obédiences confrériques, vivent leur islam en paix et en harmonie avec les enseignements du saint Coran et l’essence du message mohammadien. Conformément à la philosophie du Prophète Mohammad (P.S.L.) qui a imposé à tous les musulmans, à la communauté toute entière le devoir de propager la vérité, convertir les infidèles.
TIVAOUANE, CAPITALE DE LA TIDIANIYYA
La ville sainte de Tivaouane, capitale de la Tidianiyya au Sénégal, est un foyer religieux rayonnant où sont passés de grands guides religieux venus se former, pour ensuite faire essaimer l’islam partout en Afrique et dans le monde. Ce foyer d’enseignements et d’échanges a su formater un modèle éducatif bâti sur les préceptes de l’islam tout en s’inspirant des valeurs humanistes enrichies de l’héritage culturel africain qui a pu, en tout temps, se donner les moyens conceptuels et intellectuels d’une assimilation critique et constructive. A la fois foyer religieux et espace d’interpellation intellectuel, Tivaouane offre une école de pensée, une méthode éprouvée sur des générations de disciples. L’un des pères spirituels de la Tidianiyya au Sénégal, El Hadj Maodo Malick,
demeure une icône dont l’engagement et l’abnégation ont beaucoup aidé à l’islamisation des populations sénégalaises qui, jusqu’à l’orée du 19e siècle, étaient dans les ténèbres de l’ignorance. D’abord, le fils de Sidy Ousmane Sy et de Sokhna Fawade Wélé, né, selon certains historiens, en 1855 à Gaya, village situé sur la rive gauche du fleuve Sénégal, au nord de Dagana, a privilégié l’enseignement. À l’époque, les gens étaient des illettrés et des analphabètes. La société d’alors était composée de notables qui se contentaient simplement de leur descendance. Alors Maodo, connaissant leur ignorance des textes du Coran, a préféré instituer les séminaires de Ndiarndé, avec lesquels il va former ses premiers “Moukhadams” qu’il va disséminer dans tous les coins et recoins du pays, à travers ce qu’on peut appeler de la «décentralisation». Ces derniers auront comme tâche de lutter contre le paganisme et de propager les enseignements de Maodo dans toutes les contrées du pays. C’est pourquoi certains s’amusaient à dire que Maodo avait instruit des Maures, des Wolofs et des Toucouleurs tout en tirant d’embarras ceux qui étaient dans les ténèbres de l’ignorance.
NDIASSANE, CAPITALE SPIRITUELLE DE LA QADIRIYYA AU SENEGAL
Le village de Ndiassane (ou N’Diâsâne), capitale spirituelle de la Qadiriyya au Sénégal (une confrérie Soufi au Sénégal), sanctuaire de l’Islam fondé entre 1883 et 1884 par Cheikh Bouh Kounta, est devenu, de nos jours, l’un des plus importants lieux de pèlerinage des adeptes de la communauté Ahloul Kountiyou du Sénégal et de la sous-région ouest africaine. Avec des milliers de fidèles (talibés) qui y convergent annuellement, venant de partout dans le monde (Mali, Niger, Tchad, Mauritanie, Burkina Faso), pour commémorer, dans la ferveur religieuse et selon la tradition de la Qadiriyya, le huitième jour (le baptême) de la naissance du Sceau des Prophètes, Mouhammad (Psl). Capitale de la Qadiriyya sénégalaise, la cité religieuse se situe au nord-ouest du Sénégal, dans l’ancien royaume du Cayor, non loin de la cité religieuse de Tivaouane-la-Pieuse dans la région de Thiès. Ndiassane demeure, en effet, le fief des Kountiyous, descendants du Cheikh Bouna KOUNTA qui quitta en 1800 le village religieux de Bolonoir, situé aux environs de Tombouctou au Mali sur ordre de son frère pour venir s’installer au Sénégal avec l’autorisation du Damel d’alors, Amari Ngoné NDELLA. Ainsi, celui qui sera le fondateur des Ahloul Kountiyou s’installa, d’abord, dans la localité de Nguiguiss pour ensuite, sous le règne de Birima Fatma Thioub, fonder le village de Ndankh Mécké, en plein cœur du Cayor. La première édition de la célébration de la naissance du Prophète par la famille Kountiyou remonterait en 1901 sous la direction de Cheikh Abdou Mouhammad Kounta. Ainsi, s’établissait une tradition que les descendants du saint homme se feront le devoir de perpétuer au point de lui donner aujourd’hui une dimension sous-régionale voire internationale.
THIENABA SECK : UN «GOUVERNEMENT ISLAMIQUE» DANS UN ÉTAT LAÏC
Fondée en 1882 par Ahmadou Amary Ndack SECK (1830-1899), l’un des chefs religieux compagnons de Cheikhou Ahmadou BA, fils de Limamoul Mahdiyou BA de la localité de Wouro Mahdiyou, qui menèrent le mémorable djihad de 1875, Thiénaba, chef-lieu de la communauté rurale du même nom, l’une des trois sous-préfectures du département de Thiès, est située entre les communes de Thiès et Khombole. Ce site dont le choix aurait été révélé au saint homme par un signe lumineux et qui fait, ainsi, partie des premiers foyers religieux du Sénégal se veut gardienne du temple de la charia, la loi islamique dans un État laïc comme le Sénégal où 95 % de la population sont des musulmans. Dans cette cité, les autorités religieuses, tout en reconnaissant l’autorité administrative, sont les descendants du fondateur de la localité. Ils ont pris le soin de créer une sorte de ligne de démarcation qui divise la localité en deux parties : «Thiénaba gare» et «Thiénaba SECK».
Cette dernière partie qui abrite les autorités religieuses, distante de Thiénaba-gare d’environ un kilomètre, abrite, également l’autorité administrative et toutes les infrastructures liées à l’administration, créées par le colon.
Ainsi, les autorités religieuses, pour perpétuer cette volonté de leur guide religieux, ont instauré la charia pour juger ceux qui osent franchir les interdits de l’Islam. De ce fait, il a la garde du fouet, un des instruments pour la correction de ceux qui bravent les interdits. Chaque année, à l’occasion du Gamou, l’évènement commémorant la naissance du Prophète Mohammad (PSL), les populations de cette localité comme les fidèles qui ont fait allégeance à Thiénaba prennent l’engagement, devant la mosquée et le khalife général en tête qui incarne l’autorité religieuse, de respecter et faire respecter les principes et les valeurs de l’Islam.
C’est ce qui fait qu’à Thiénaba SECK, la consommation de boissons alcoolisées, la cigarette, la fornication, y sont interdites, selon les informations recueillies sur place.
En ce qui concerne la dernière interdiction, la surveillance est plus accrue. Une femme qui tombe enceinte sans être dans les liens du mariage est renvoyée de la communauté rurale jusqu’à son accouchement. Et si elle désire revenir dans la localité, cette dernière doit au préalable subir la flagellation comme prévue par la charia en prenant 100 coups de fouets à la place du village au vu et su de tout le monde, avant d’intégrer à nouveau Thiénaba SECK. L’imam ou celui qu’il aura choisi comme chargé de donner les 100 coups aux pécheurs, avant de passer à l’acte, sans que le bras ne décolle de son corps, prend un premier coup comme pour dire que quiconque transgresse la loi établie par Dieu dans le domaine de la fornication va subir le même sort avant d’exécuter la sentence. Après laquelle, la victime fait deux «raakas» et renouvelle son engagement à respecter la charia pour ensuite réintégrer les siens. Concernant l’adultère, les concernés sont définitivement renvoyés de Thiénaba SECK puisqu’il que
la peine de mort qui doit être appliquée dans ce cas, n’est pas autorisée au Séné-gal.Rappelons que Serigne Ahmadou Ndack SECK a combattu la présence française avec les armes aux côtés de Cheikhou Ahmadou entre 1871 et 1875, année de la grande bataille de Samba SADIO avant de fonder Thiénaba
HISTORIQUE DU GAMOU DE KEUR MAME EL-HADJI NDIEGUENE
La célébration de la naissance de notre Prophète Seydina Mouhammad (Saw) à keur Mame El-Hadji Barro NDIEGUENE date de très longtemps. «Je ne puis vous donner une date exacte mais ce qui est certain est qu’à ma naissance j’ai trouvé que ce Gamou avait déjà lieu», avait, de son vivant, fait savoir El-Hadji Mouhammad NDIEGUENE qui a vécu 107 ans, un peu moins que son illustre père El-Hadji Ahmadou Barro rappelé à Dieu à l’âge de 111 ans. Pour le président de la commission d’organisation du Gamou, Serigne Ousseynou NDIEGUENE, «la célébration du Gamou de keur Mame El-Hadji avait un autre visage avant de prendre sa forme actuelle. Puisque jadis dans la nuit du Maouloud, ceux qui maîtrisaient le Livre Saint récitaient le Coran toute la nuit durant, jusqu’à l’aube, à haute voix en faisant des allers-retours entre la mosquée et l’entrée de la maison. Une tradition communément appelée ‘Le Beuto’.
A la mort de son illustre père dont le mausolée, sise à Kassass, reçoit chaque année des milliers de pèlerins, Tafsir Ahmadou Barro NDIEGUENE décida d’aller approfondir ses connaissances à Rufisque auprès de son oncle Tafsir Ibrahima CISSE qui lui a été recommandé par son père de son vivant. C’est
en 1865 que Tafsir Ahmadou Barro NDIEGUENE s’installa à Thiès. D’abord, dans le quartier de Nginth-Escale, près du premier poste de gendarmerie d’alors, où il créa la première mosquée de la ville de Thiès et son Daara (école coranique). Il devait, ensuite, déménager pour rejoindre, suite à une vision saine et éclairée d’homme de Dieu, un petit baobab situé plus à l’Est de sa première demeure et qui devait constituer, au fil du temps, le grand arbre ancestral autour duquel rayonne, aujourd’hui, un grand quartier baptisé : «Keur Mame Al-Hadj». Du nom de son illustre fondateur, trait d’union symbolique du respect de l’islam et de ses enseignements entre les autres quartiers de la ville de Thiès, des villages et des villes environnantes.
Cheikh CAMARA,
Correspondant permanent à Thiès
(Synthèse de plusieurs livres traitant de
la question)