Le Témoin – Si feu Jean Collin symbolisait à la fois le Talleyrand, le Cambacérès et le Raspoutine dans le landerneau politique sénégalais de son époque, notamment sous le magistère du président Abdou Diouf, Serigne Saliou Mbacké Abdou Ahad, qui a tiré sa révérence ce mardi 25 août 2020 à l’âge de 64 ans, incarnait, assurément, à lui seul, à l a fois le Saliou, le Ahad et le Souhaïbou dans la sphère mouride. De son homonyme et éducateur, Serigne Saliou Mbacké, 5e khalife général des Mourides, le défunt a hérité l’humilité, la discipline, la quête effrénée du savoir, la foi en Dieu, l’amour de son prochain et la méthode dans le travail. C’est d’ailleurs sous le magistère de son vénéré homonyme qu’il a parcouru les quatre coins du monde pour accumuler des connaissances dans la culture fourragère et l’élevage. Des domaines qu’il a fini par maitriser avec une maestria certaine.
Champion de l’amélioration génétique et de la culture fourragère
À preuve, il est le dernier lauréat en date de la 6e édition du prix du chef de l’État pour l’Élevage organisé à Kaël, dans le département de Mbacké, il y a quelques mois et dont le thème portait sur la “Promotion de la culture fourragère et l’amélioration génétique du cheptel : créneaux porteurs pour l’emploi des jeunes et des femmes”. Une compétition qu’il avait dominée de bout en bout. En effet, alors que les précédents lauréats du prix peinaient à rassembler 5 têtes de bétail, fruit de l’amélioration génétique, Serigne Saliou Mbacké Abdoul Ahad avait demandé à votre humble serviteur (Voir encadré) de présenter à la délégation préfectorale venue s’enquérir de l’état de son cheptel, tenez-vous bien, quelque… 160 têtes de bétail issues de ce protocole qu’il maitrisait comme personne d’autre dans la sous-région ouest africaine ! En ce qui concerne le deuxième volet de cette compétition dont il était le seul, parmi les 33 lauréats sélectionnés sur l’étendue du territoire national à répondre aux critères édictés, il a étalé sur la table pas moins de 140 tonnes de cultures fourragères destinées exclusivement à l’alimentation des animaux. Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, Serigne Saliou Mbacké Abdoul Ahad, qui appuyait gratuitement certains éleveurs de sa région dans l’alimentation de leur cheptel, s’était doté de tout le matériel agricole intervenant dans le processus de transformation fourragère, ce qui fait qu’il était ainsi au-dessus de la mêlée. Le président Abdoulaye Wade, qui l’a une fois écouté exposer ses connaissances sur ces mamelles du secteur primaire, ne cessait d’insister auprès de lui afin qu’il y initie ses ministres et leurs principaux collaborateurs. Des séminaires étaient ainsi régulièrement organisés avec des services étatiques dans ce cadre.
Héros de Ndiouroul
De son illustre père, Serigne Abdoul Ahad Mbacké, le bâtisseur, Serigne Saliou tenait la rigueur dans le travail, un franc-parler légendaire, une foi inébranlable en Khadim Rassoul et la bravoure dans l’épreuve. Sur ce dernier point, il s’est particulièrement distingué lors d’une journée mémorable inscrite à jamais dans les annales de l’histoire du mouridisme. Devant une horde de brigands, fortement armés de coupe-coupe, d’arcs et de flèches entre autres et voulant attenter à la vie de son vénéré homonyme Serigne Saliou Mbacké dans son antre de Ndiouroul, il s’était levé, sans flancher, après avoir mis le saint homme, espoir de tout une nation, et les petits «ndongo daara» à l’abri pour sortir affronter les malveillants visiteurs qui constituaient une bonne petite armée. Devant la détermination et la bravoure de Serigne Saliou Mbacké Abdoul Ahad, qui ne leur concéda aucune parcelle de terrain et les malmena terriblement, les agresseurs battirent en retraite, pourchassés jusque dans leurs derniers retranchements par le jeune digne petit-fils de Serigne Touba Khadim Rassoul. Inutile d’entrer dans les détails de cette journée dont la seule évocation fait tomber en transes les mourides. Le héros de Ndiouroul était né. Depuis, il est ainsi distingué et remarqué dans la communauté mouride par ce surnom «Serigne SalioU Ndiouroul».
Son père et homonyme lui fit part, devant l’assistance, de toute sa fierté. Et chose rare qui allait marquer son existence, il eut la bénédiction de ce soufi à la dimension exceptionnelle qui lui donna même sa fille, Sokhna Mame Faty Mbacké, en mariage. Son attachement à la famille du vénéré 5e khalife général des Mourides se prolongea sous le magistère de Serigne Cheikh Saliou Mbacké qui en avait fait son confident, sa voix et son homme de confiance. Pour Serigne Cheikh Saliou, il était l’interlocuteur incontournable des autorités qui voulaient accéder à lui comme celui des égarés qu’il fallait remettre sur le droit chemin. Comme cette veuve de Cheikh béthio Thioune qui défie l’autorité mouride et à laquelle il a fermement rappelé les fondamentaux de la voie tracée par Serigne Touba Khadim Rassoul. Serigne Cheikh Saliou avait également confié au défunt le pilotage des réputées récoltes de Khelcom qu’il mena avec brio, accumulant les records à chaque édition.
Trait d’union de la lignée matriarcale des « Ndiakhaté »
De son autre père, Serigne Souhaïbou Mbacké, un grand érudit auprès duquel il a fait ses humanités coraniques, Serigne Saliou Abdoul Ahad peut légitimement revendiquer une orthodoxie légendaire, l’objectivité, le respect scrupuleux des prescriptions du Coran et de la tradition authentique. Il était un jurisconsulte hors pair. Ceux qui avaient eu la chance de le voir à l’œuvre s’émerveillaient de ses connaissances intrinsèques. Il était également le trait d’union de la lignée matriarcale des «Ndiakhaté» qu’il partageait avec la famille de son homonyme et celle de Serigne Souhaïbou. En attestent ses relations privilégiées avec les enfants de Serigne Saliou. Que ce soit avec son khalife Serigne Cheikh Saliou, ou sa fille ainée Sokhna Walo Mbacké dont une de ses filles porte le nom, ou encore Serigne MoustaphaSaliou. Il en était de même avec la famille de Serigne Souhaïbou. D’ailleurs, sa prière mortuaire a été dirigée ce mercredi par Serigne Amsa Mbacké Souhaïbou sous le ndigueul de Serigne Sidy Mbacké Abdoul Ahad, patriarche des trois familles réunies. Une prière mortuaire qui a refusé du monde dans la ville sainte. A l’heure précise où elle était effectuée, la forte canicule des derniers jours a cédé subitement la place à une fraicheur inattendue et venue d’ailleurs, suivie d’une fine pluie après l’enterrement du grand homme aux cimetières de bahia, à Touba. Ainsi était Serigne Saliou Mbacké Abdoul Ahad. Ce n’est d’ailleurs nullement un hasard si la cérémonie du 40e jour de son décès va coïncider avec le grand Magal de Touba marquant le départ en exil de son vénéré grand-père par la grâce duquel nous souhaitons que le bon Dieu l’accueille dans son meilleur paradis de Firdawsi. Félicité éternelle.
Amadou Ly Diome, LE TEMOIN quotidien N° 1360 – Vendredi 28 au Lundi 31 Août 2020
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