MAMADOU DIOP DECROIX SUR LE LIVRE DE SERIGNE SOUHAÏBOU KÉBÉ : La leçon du Cheikh

A’uuzu bil Laahi minas shaïtaanir rajiim,

Bismil Laahir rahmaanir rahiim

Was salaatu was salaamu ‘alaa rasuuli Laah 

Rabishrah lii sadrii

Wa yassirlii amrii

Wahlul ‘uqdatam mil lisaanii

Jërëjëfé sëriñ tuubaa

Cheikh Muntaqaa Mbàke Yàlla na fi yàgg te wér

Sëriñ Cheikh Mbacké Saliou Yàlla na fi yàgg te wér 

Sëriñ Mustafa Saaliou ag njabootuk sëriñ saaliou gépp Yàlla na léen fi  Yàlla yàggal te wéral léen 

Ce livre est venu à son heure. Je me posais toujours la question quand est-ce que nous allons avoir une biographie du Cheikh Saleh ? Sa proximité avec lui a fait de Serigne Souhaibou Kébé l’homme de la situation. 

Je voudrai d’abord dire toute l’admiration et tout le respect que j’ai pour Serigne Souhaibou qui a eu d’abord le courage physique d’entreprendre un tel travail de recherche. Je songe à la somme d’efforts qu’il lui a fallu fournir pour recueillir les témoignages des illustres contemporains de Serigne Saliou Mbacké ; ceux-là qui ont eu le privilège exquis de le côtoyer et de s’abreuver aux sources de ses enseignements. Respect et admiration aussi pour son courage, voire sa témérité intellectuelle consistant à creuser l’œuvre grandiose du Cheikh dans sa double dimension exotérique et ésotérique. Il a su défricher et il a su déchiffrer. C’est pourquoi tout le monde (profanes comme soufis) peut trouver son compte dans cet ouvrage en attendant avec impatience le deuxième volume. 

L’approche méthodologique de Serigne Souhaibou a été particulièrement pertinente, parce qu’il a divisé l’œuvre en deux volumes pour la richesse du parcours du Cheikh mais aussi pour la particularité de ce parcours qui lui-même se divise en deux périodes : celle d’avant le khalifat où le Cheikh poursuit son cheminement spirituel et son rayonnement. Cette période est abondamment renseignée  par de nombreux contemporains notamment par Cheikh Mouhamadoul Bachir Khadimou Rassoul, Serigne, Mouhamadou Lamine Diop Dagana, Serigne Amsatou Diakhaté et tant d’autres. La deuxième période, la période du khalifat est celle que nous attendons avec impatience. Qu’Allah swt nous donne tous longue vie et santé pour en être aussi des témoins.

Les sources bibliographiques de Serigne Souhaibou illustrent également à suffisannce cet effort de recherche que Serigne Cheikh khalif de Serigne Saliou a explicitement salué dans son propos liminaire de satisfaction en exprimant sa fierté pour le travail de recherche [je souligne] et d’abstraction accompli par son fils non sans rappeler le cadrage du travail qui repose sur le trépied que sont : l’iimaan, l’islaam et l’ihsaan.

En parcourant le livre, on y découvre à l’entame, les origines de la pénétration de l’islam dans notre pays par le Tekrour dès le 11ème siècle avec le roi Wara Diaby qui embrassa l’Islam (1040/434 h) et diffusa les sciences de cette religion dans son royaume ce qui rendit possible son implantation sans recours à l’épée. 

Revenant au Cheikh Saleh, Serigne Souhaibou nous relate son cursus depuis les rencontres avec sa référence Cheikh al Khadim à Diourbel dans une atmosphère toujours nimbée d’affection réciproque. 

Serigne Souhaibou se lance ensuite à la découverte des différentes étapes de ce cursus en insistant particulièrement sur la dimension «quête de savoir» chez le Cheikh. Depuis l’école de Tindodi où son illustre frère aîné Cheikh Mouhamadou Moustapha Khadimou rassoul l’avait placé dès son très jeune âge jusqu’à Khelcom, des décennies d’ascension culminant sans doute, par la volonté d’Allah swt,  avec sa posture de dernier fils de Khadimou rassoul à occuper la station de Serigne Touba d’où il a rejoint Cheikh al Khadim en 2007.

Le livre se présente comme le creusement d’une mine ; une mine de diamant d’où vous découvrez dans ses différentes couches tous les matériaux utiles sans exception dont l’aspirant chanceux, le muriid, qui entame son ascension, fait provision ‘yobeul’. 

J’ai eu, pour ma part, l’insigne baraka (je la considère comme tel) de connaître le Cheikh quand j’avais 11 ans à Diourbel. Nos maisons étaient quasi mitoyennes. J’ai versé des larmes lorsque Serigne Souhaibou a évoqué à la page 54 du livre Sokhna Fat Diakhaté la mère du Cheikh en parlant de ses caractéristiques de générosité qui «distribuait des mets à tous notamment les vendredis si bien que les pauvres et les indigents restaient devant sa porte à attendre leur part. Ses multiples qualités en avaient fait une éducatrice des âmes de premier ordre et beaucoup de femmes pieuses et savantes furent formées par elle. ‘Wa maa chahidnaa illa bi maa ‘allimnaa’. Je suis témoin oculaire et bénéficiaire des largesses de Mame Fat Diakhaté comme nous l’appelions à l’époque. 

La dialectique de l’exotérique et de l’ésotérique chez Cheikh Saleh traverse tout le livre de Serigne Souhaibou. Le versant exotérique et ses différentes facettes qui fondent la praxis du Cheikh c’est-à-dire la khidma, cette synthèse de la théorie et de le pratique du travail de la terre à travers la pédagogie par exemple. Je cite pêle-mêle de mémoire, Gott, Diobass, Khabane, Ndiapandal, Njurul, j’en oublie … jusqu’à Khelcom.

Le versant de l’ésotérisme se donne dans le livre comme l’évolution spirituelle du Ckeikh sur la voie du tasawwuf avec ses différentes déclinaisons que sont entre autre les vertus cardinales d’un homme qui assimila la voie de Cheikh Al Khadim à travers le repentir, l’ascétisme, la sobriété, la longanimité, l’action de grâce… tel que l’indique Cheikh Mouhamadou Al Bachir dans Minanoul Bakhil Khadim) à propos des neuf (9) stations de l’évidence.

Je m’arrête sur « Le pacte d’allégeance des Diakhaté à Khadim Rassoul  tel que rapporté dans le livre avec Serigne Modou Asta Diakhaté (sur lui l’agrément d’Allah) qui était un disciple de Cheikh al Khadim. 

Et l’anecdote extraordinaire de Serigne Moustapha Saliou sur les circonstances de cette allégeance en ces termes : «Entre Serigne Modou Asta Diakhaté et Serigne Balla Patte Touré le père de Serigne Abdoulwahid Touré de Lappé, s’était établie une relation d’amitié et de fraternité indéfectible à tel point qu’ils s’étaient engagés à ne rien entreprendre l’un et l’autre sans se consulter. Serigne Balla Patte Touré avait entrepris un voyage au cours duquel il rencontra Cheikhoul Khadim ; il lui fit allégeance pour s’engager dans la voie initiatique. À son retour, il informa son ami Serigne Modou Asta Diakhaté qui prit mal la nouvelle, car à ses yeux, cela rompait leur accord puisqu’il devait le consulter avant de prendre une telle décision. » L’affaire fut si sérieuse qu’avec l’aide de leurs amis, ils convinrent d’aller rendre visite ensemble au Cheikh afin que Serigne Modou Asta Diakhaté puisse se faire sa propre idée d’Ahmadou. Pour aller vite, la visite se termina par l’engagement de Serigne Modou Asta en ces termes : «je vais faire mon allégeance mais je ne vais pas faire comme toi ; je ne vais pas me contenter de faire l’acte et de repartir ; je lui fais don de ma personne, de mes biens et de mes enfants et je me mets à son service pour le restant de ma vie». 

Le Cheikh Saleh a étudié les matières les plus diverses que l’astronomie et l’astrologie, la géographie, la littérature et les sciences religieuses, le fiq, les langues et j’en oublie. Il parlait le wolof, le pulaar et lisait les notices médicales en français pour expliquer à ses proches la posologie des médicaments qui leur étaient prescrits. Cheikh Mohammad Dème Diourbel dont l’école était des plus célèbres au pays témoigna sur son intelligence et sa faculté de mémorisation. Ces différentes dimensions en faisaient un philosophe théologien au jugement pointu comme cette façon d’appréhender Cheikh al khadim : «Plus tu avanceras dans la connaissance, plus tu auras des ouvertures spirituelles et des dévoilements dans des connaissances que tu ne pouvais même pas imaginer. Cheikhoul Khadim ne peut pas être confiné dans une station ou une fonction et aucune intelligence ne peut l’embrasser. En vérité, chacun comprendra du Cheikh ce que son niveau d’entendement lu permettra de comprendre.» il n’y a aucune approche plus exacte que celle-là quand il s’agit de la perception qu’il faut avoir de khadimou rassoul.

L’intérêt qu’il manifestait pour la géopolitique et la marche des choses dans le monde apparaît dans le livre. Il suivait le combat des peuples africains pour l’indépendance, priait beaucoup pour les pays musulmans aux prises avec l’impérialisme américain et l’arrogance de Georges Bush en son temps  et son projet de grand Moyen-Orient.

Je vais m’arrêter sur un point important ayant trait au passage du livre où Serigne Souhaibou Kébé rapporte le propos de l’intellectuel Ndiaga Fall racontant à Serigne Saliou son flirt avec le Marxisme-Léninisme, évoque une expérience vécue dans l’ancienne union soviétique. Ndiaga fall que je connais bien – il se pourrait même qu’il se trouve dans l’assistance – m’a rapporté cette anecdote d’une force invisible qui l’empêcha de rentrer dans le Mausolée de Lénine pour le visiter avec ses compagnons venus de Paris. Et le soir, il vit Lénine en rêve dans une belle tenue blanche tachée de sang. Serigne Saliou l’écouta attentivement et dit : «ce rêve indique que l’homme était pur et sincère dans ses entreprises et pensait agir pour le bien de l’humanité d’après sa tenue blanche dans le rêve et puisqu’il l’a fait en ne croyant pas en Dieu Tout Puissant et au jugement dernier, son travail est vain». Je ne sais si j’en tire le même enseignement que Ndiaga Fall mais pour moi, la leçon du Cheikh est magistrale. Elle indique que la pureté et la sincérité dans l’engagement pour le bien de l’humanité sont à encourager lorsqu’ils s’adossent à ce qu’indique le verset 177 de la suraat baqara : ‘croire en Allah, au jour dernier, aux anges, au livre et aux prophètes … ». Au Sénégal ce point est important pour ceux qui s’engagent en politique en œuvrant pour les intérêts du plus grand nombre. Notre histoire, nos traditions et notre culture qui fortifient notre foi en ALLAH swt font que justement pour sauver l’Afrique, il nous faut rester nous-mêmes sous le rapport de notre foi mais en osant nous attaquer à ceux-là qui nous refusent notre ‘humanitude’ et qui travaillent à nous maintenir dans la pauvreté et la misère.  Ce qui manquait à Lénine, nous l’avons, c’est la foi. Il faut tenir cette anse qu’indique le Cheikh avec fermeté pour aller à l’assaut de la citadelle de ceux qui nous piétinent. Telle est, selon moi, la leçon du Cheikh. Il m’a été rapporté que Cheikh Mouhammadoul Bachir avait la même approche.   

Les connaissances en géographie naturelle et humaine des diverses régions du monde et du pays étaient remarquables.  «Les nappes phréatiques qui, de la région de Dakar, traversent la riche région du Diobass, et les terres du Cayor et du Baol n’avaient pas de secret pour lui. Je confirme cela pour avoir  moi-même eu un échange sur ce sujet  avec le Cheikh à son initiative sur la Floride et Cuba et les rivières qui arrosaient les cuvettes de la zone de Fandène jusqu’à Keur Yaba Diop (page 95) dans le Thiès.

Puis Serigne Souhaibou Kébé pénètre dans les profondeurs de l’ésotérisme à la poursuite de la réalité du tasawwuf, l’expérience soufie comme héritage et continuation de Cheikh al Khadim (page 100). Cette descente dans les profondeurs ésotériques échappe aux capacités d’appréhension du profane que je suis. Je me contenterai d’inviter les lecteurs à s’intéresser à ces compartiments du livre où ils puiseront, à n’en pas douter des provisions merveilleuses comme aspirants. Il y est question de l’audit des souffles.

Quelques des qualités du cheikh mentionné dans le livre : Le repentir (Tawba), l’ascétisme,  la sobriété, la Longanimité, la pudeur. Il Détestait la médisance et la calomnie. Son amour et sa miséricorde envers les enfants, son respect de la dignité humaine.

Mamadou Diop Decroix

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